Parfois ils viennent en groupe nous voir comme ils iraient au zoo. Ils nous regardent et parfois nous saluent. Ils ont l’air contents.
Le grand sous chef général m’a serré la main. Il m’a dit : « Bonjour, je suis Paul Dupont ». Je lui aurais bien dit mon nom moi aussi, histoire d’exister un peu mais je me suis tue : je ne me présente à aucun mandat. Il avait une cravate et une veste en cuir. Je pense qu’il essayait d’être cool. J’aurai aimé ne pas le toucher mais ça aurait été mal perçu, je ne pouvais pas me le permettre. Il a voulu faire un selfie mais je lui ai dit que je préférais être de dos. La photo circule peut être sur une plaquette publicitaire. Si vous la voyez ne me dites rien, s’il vous plait.
Nous sommes en insertion il parait. C’est écrit partout. Impossible d’oublier ni de nous regarder autrement. Nous sommes les naufragés de la vie, les perdants du capitalisme, les gueux à sauver, les misérables … nous échangeons nos tristesses entre nous pour nous réchauffer en attendant un vrai soleil.
Ici ils prennent soin de nous. Ils sont gentils. Ils nous apprennent à écrire, à tenir nos comptes, à préparer nos passages au tribunal ou à se servir d’un ordinateur. Nous devons préparer notre vie future, celle où nous aurons une vie active, où nous pourrons nous faire avaler par le grand tout sans risque de rejet ou d’indigestion.
En échange nous travaillons. Un presque vrai boulot avec de vrais outils et une vraie pointeuse.
Je suis en insertion il parait. Je suis sage et domestiqué. Je m’insère …
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